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Nicolas Haeringer // BILLET DE BLOG 19 JUIN 2023
Près de 5 hectares de terres fertiles sont menacées par le béton à Die, dans la Drôme. En soi, ça n’est pas grand chose : on est loin des grands projets inutiles et imposés. Pourtant, ce qui se joue là va bien au-delà des seuls enjeux locaux.
Ce dimanche 18 juin, nous étions près de 400 à marcher du centre-ville de Die (au pied du Vercors) jusqu’à la zone d’activité (ZAC), quelques kilomètres plus au Nord. Notre but ? Protester contre la volonté de la Communauté de Communes et la mairie de Die (pourtant de gauche, élue sur une plateforme écolo et citoyenne) d’artificialiser un peu plus de 4 hectares de terres agricoles, afin d’étendre la ZAC en question. Pour faire passer la pilule, les élus se sont engagés à ce que ne soient accueillies que des entreprises du secteur alimentaire ou agricole.
Ce ne sont certes que 4 hectares. Reste que l’équivalent des départements du Var ou du Nord disparaît tous les dix ans sous le béton… 548 000 hectares ont été artificialisés entre 2009 et 2016. Les “grands projets inutiles et imposés” ne sont pas les seuls responsables de cette artificialisation ultra rapide. L’addition de tous petits projets – une bretelle d’autoroute par-ci, un parking de supermarché par là, un lotissement de ce côté, un rond-point de l’autre – y contribuent tout autant.
À l’échelle d’un pays, il n’y a pas de projet anodin, de bétonisation qui serait acceptable car à petite échelle.
À l’échelle locale, la question est épineuse : pour beaucoup, renoncer à une telle extension, c’est refuser qu’un territoire soit attractif, créateur d’emplois de qualité.
De fait, le groupe Léa Nature y possède une entreprise, Nateva. Celle-ci a besoin de s’étendre, pour pouvoir développer son activité et, entend-on ici et là (sans jamais voir de chiffres précis), créer 50 emplois. 91 petits agriculteurs locaux fournissent par ailleurs des plantes aromatiques et médicinales (qui serviront à fabriquer des huiles essentielles, des distillats, etc.). La Zac s’est déjà étendue de l’autre côté de la route, il y a plusieurs années. Quelques hectares bétonnés pour… 7 emplois créés. Le reste : des services qui quittent le centre-bourg pour s’installer en périphérie. Un jeu à somme nulle, sauf en termes d’émissions de CO2 et d’imperméabilisation des sols.
Des alternatives existent. Léa Nature a d’ailleurs accepté de les prendre au sérieux. Il renonce à son extension sur les terres agricoles, pour utiliser les dents creuses et bâtiments inoccupés de la Zac – et ils sont nombreux. Problème : la Communauté de communes et la Mairie s’entêtent et veulent à tout prix débuter les travaux… Dès cette semaine, pour aménager un grand rond-point (dont le gabarit permettra aux camions de faire demi-tour). Et c’est à peu près tout : il n’y a plus aucun preneur pour les terres de la plaine de Chamarges une fois qu’elles seront bétonnées, en dehors d’une entreprise de contrôle technique (en contradiction avec l’engagement à n’installer que des entreprises agricoles ou alimentaires).
L’épicerie coopérative locale serait, entend-on ici et là, intéressée. Mais on peine à le croire – et d’ailleurs, le Conseil d’administration n’a jamais rien dit de tel : il s’agit d’un acteur historique de la relocalisation de l’activité agricole sur le territoire. Elle est en train de lancer sa propre activité de maraîchage sur des champs situés juste en face de ceux qui sont aujourd’hui promis au béton. En outre, le risque réputationnel est fort, et l’épicerie aurait beaucoup à perdre, très peu à y gagner.
Le président de la Communauté de communes organise pourtant ce lundi un “rassemblement républicain”, censé montrer la détermination des élus locaux et le soutien de la population au développement économique du territoire, qui, à ses yeux, ne peut apparemment se faire qu’en bétonnant des terres agricoles. Les élus locaux, départementaux et régionaux sont conviés à apporter leur soutien à la destruction de quelques hectares de champs pour y construire un rond-point qui ne servira peut-être… à rien.
Il existe pourtant encore une chance de stopper les travaux et de discuter collectivement et sérieusement des alternatives en question. De fait, rien ne presse : appuyer sur pause ne mettra aucune entreprise en faillite. Décider d’un moratoire sur les travaux ne fera perdre d’argent à personne, là où foncer tête baisser en fera perdre à la Communauté des communes.
Bien sûr, renoncer à un tel projet n’est pas facile, quand on est élu. On se fait élire sur la promesse de réaliser des aménagements, plus que sur l’engagement à ne pas en faire. Construire reste encore et toujours plus valorisé car visible, dans un bilan de mandat, que de laisser un champ vivre sa vie de champ – d’autant plus que laisser un champ vivre sa meilleure vie peut très bien signifier le laisser à l’état de friche, en jachère. Qu’importe : on ne défend pas les seuls champs voués au maraîchage et à l’agriculture vivrière. Nous désirons des haies non taillées, des coquelicots et des tulipes sauvages, tout autant que des tomates, des noix et du fourrage.
Renoncer ne signifie pas abandonner un territoire à l’apathie, aux délocalisations, à la destruction des emplois de qualité. Dans le cas présent, renoncer au moins temporairement, c’est au contraire décider de reprendre la main, de renouer le dialogue entre tou.te.s les habitant.e.s. Ça frotte, ça pique, ça gratte comme dans un champ en friche, c’est moins propre et lisse que le béton. Il y aura des conflits, des désaccords et des tensions. Bétonner pour réserver la concorde locale est une chimère : une fois que le béton aura coulé, le retour en arrière ne sera pas possible, tandis qu’une pause laisse ouvertes toutes les options.
Il deviendrait alors possible de chercher un compromis, en commençant par vérifier que le désir de créer des emplois locaux entre véritablement en contradiction avec la nécessité de préserver les terres agricoles : rien n’indique qu’il n’est pas possible de concilier les deux ; et à ce jour rien ne permet d’affirmer que ce serait plus coûteux, plus contraignant ou plus complexe. Il est de la responsabilité des élu.e.s locaux de savoir renoncer, au moins temporairement à un projet, pour renouer le dialogue et envisager toutes les alternatives possibles à partir des contraintes locales. L’enjeu dépasse largement le cadre du diois.